Microfictions

Ô royal puceau !

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J’ai dix-sept ans, et je crois être heureux. De nombreux symptômes semblent leurrer les passants ; ils y répondent par des lorgnades complices et des sourires convenus. Je chemine, lentement, sur le piétonnier de la place du Vieux Marché, à Louvain. Dans mon cœur, joie et volupté, et au bout de mon bras, une fille.

Une fille, une vraie. Une amoureuse officielle, présentée à ma mère et adoubée par mes amis. Je l’exhibe aux regards du peuple, affichant ostensiblement mon nouveau statut social d’adolescent accompli. L’accueil de ces braves gens l’atteste, chaque œillade est un assentiment populaire, une génuflexion dévote ; je fais ma joyeuse entrée dans la cité de l’amour. Elle t’aime, oui, oui, oui, chante John Lennon, au loin.

Parfois je réponds d’un geste de la main. Merci, merci, voyez comme elle est belle, comme elle ensoleille vos errances, embrase vos pauvres vies, voyez, voyez comme l’envie vous consume ! La donzelle, il est vrai, est un parfait canon. Longue et fine, son corps est une perfection sculpturale, sa démarche est une danse tzigane, et son éternel reniflement ne m’affecte plus guère. Je n’ai pas souvenir de son prénom.

Toujours amarrés, nous achevons trois tours de circuit sur les lattes brunes d’un banc public. Nos ébats n’outrepassent jamais la tendresse d’un propos ou l’effleurement d’une joue. Je l’ai compris plus tard, trop tard : entretenir une amourette requiert une intimité plus affirmée, faite de caresses et d’explorations ; la route des Indes, le passage du nord-ouest, la vallée des rois – toutes aventures insoupçonnées, ô royal puceau, ivre d’innocence et de plaisirs inconnus. A ma décharge, rares furent les occasions de m’y initier : ma vie entière est une affaire de mâles. Moi, déjà, et quatre frères. Puis à l’école, au collège, aux scouts : de la testostérone en puberté, des matous virils, des déménageurs, des livreurs de menhirs, fort loin des fillettes effarouchées. Mes contacts avec le beau sexe furent inexistants, ou chaperonnés. L’anatomie féminine était, pour moi, plus encore qu’un mystère : c’était une ombre engloutie dans le trou noir de mon ingénuité. C’est un cousin qui me décrivit, bien après, les ressorts mécaniques de la reproduction. Il me détailla tout ce qu’il savait sur les félicités de l’acte charnel : l’enlacement primitif, le mélange des langues, l’effeuillage empressé, les jeux de bouche, le désordre des jambes, les irrépressibles grognements, puis l’ultime cri, facultatif. 

Je ne l’ai pas cru, sur le moment. Mais ce soir, tout va changer. Un jeune éphèbe en majesté (moi), équipé du matériel indispensable à l’expérience (elle), est sur le point de passer, lui aussi, de l’ombre à la lumière. Je m’apprête à l’emmener progressivement sur ce sujet, par un subtil dosage de papouilles et de contrepèteries, quand elle pose soudain son doigt sur mes lèvres.

– Je te quitte, fait-elle, doucement.